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Chloe Romengas

Pourquoi des patients très cartésiens se tournent aussi vers des thérapies alternatives.

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Pourquoi des patients très cartésiens se tournent aussi vers des thérapies alternatives.

Je n’osais pas trop écrire cet article, parce qu’il faut l’avouer, la médecine alternative, c’est un sujet qui divise, qui fâche, qui déclenche des passions. Je sais que je risque de perdre à la fois des abonnés patients qui ne jurent que par la médecine alternative et sont farouchement opposés à toute vaccination par exemple, et des abonnés soignants qui ne jurent que par la médecine conventionnelle et se moquent des patients qui osent “aller voir des charlatans”. Tant pis. 

C’est une amie médecin faisant partie de cette seconde catégorie, qui m’a un jour demandé, alors qu’elle était encore interne, pourquoi moi, alors qu’elle me savait profondément cartésienne, j’allais faire de l’acupuncture, de la médecine chinoise, de l’hypnose ou consulter en naturopathie. On a discuté. Elle était moqueuse au début, puis très ouverte d’esprit, et curieuse (ben oui, c’est mon amie quand même 😉 )

Je n’avais jamais vraiment réfléchi ni mis de mots sur la raison pour laquelle j’avais ressenti le besoin de me tourner vers des thérapies alternatives dans mon parcours de soin. Car oui, c’était un besoin.

J’y ai repensé, j’ai compris, et je me suis dit que ça pourrait servir à d’autres de l’expliquer. Pour que, peut-être, on comprenne, et par conséquent on respecte plus facilement le choix de ces patients, et qu’on arrête de les considérer comme des illuminés ou des idiots.

Les thérapies alternatives, je n’y vais pas pour guérir. J’y vais en support. En soutien.

En fait, j’y vais d’abord pour l’écoute active.

Car mon médecin généraliste, mon neurologue ou mon gynécologue sont compétents, mais pas forcément compatissants. Ils s’occupent de façon professionnelle de mes symptômes les plus graves et de l’évolution de ma maladie, mais laissent de côté tout ce qui gravite autour. Ce qui n’est pas leur priorité. Et notamment un petit symptôme. Sauf que ce petit symptôme, qui n’est pas grave dans le sens où il ne porte pas atteinte à ma vie, et ne me provoque pas de gros troubles moteurs, est terriblement douloureux et handicapant dans ma vie quotidienne. 

Lorsque j’insiste pour qu’on le considère, l’explore et me propose de quoi le soulager, mon médecin m’écoute distraitement et balaye le sujet d’un geste de la main. Parce qu’un bon médecin n’a malheureusement pas forcément beaucoup de temps à lui consacrer, il me dit souvent qu’on a d’autres priorités (à savoir les symptômes qui peuvent porter atteinte à ma vie) et qu’un mauvais médecin n’a juste pas envie de s’en occuper (eh oui, il y a de tout, comme partout).

Alors, je repars avec mon petit symptôme pas très grave mais très douloureux. Moins on le considère, et plus j’y pense. Plus j’y pense, et plus j’ai mal.

Si mes médecins n’ont pas le temps de m’écouter, eh bien je vais chercher l’écoute ailleurs, et je me dirige vers la médecine alternative. Vers des thérapeutes pour qui l’écoute active est le principe de base de leur pratique.

Il n’y a pas de méthode miracle, et mon petit symptôme pas grave est toujours là. Mais il est considéré, pris en charge, et psychologiquement, ça me soulage déjà beaucoup. Il est là, mais il est beaucoup moins douloureux, et beaucoup moins handicapant. Et finalement, c’est tout ce que je demandais. 

J’y suis allée aussi pour la vision globale du corps, lorsque j’étais en errance médicale.

Parce qu’aller de spécialiste en spécialiste, qui constate à chaque fois un problème sur l’organe de sa spécialité sans savoir l’expliquer, et sans le mettre en relation avec mes autres symptômes, c’est usant. Épuisant. Je n’avais plus envie de courir de service en service, d’hôpital en hôpital. Je voulais tout arrêter.

Alors, j’ai consulté en médecine alternative, le thérapeute a pris le temps de discuter avec moi, j’ai pu lui lister la totalité de mes symptômes sans qu’il me coupe, il m’a dit qu’il comprenait mon désarroi et que ça ne devait pas être facile à vivre au quotidien. Cette phrase, si simple, m’a fait du bien. Je me suis sentie comprise, ou en tout cas écoutée, reconnue, et aucun symptôme n’était minimisé. Je me suis sentie humaine, plus forte, et j’ai pu retourner dans le bal des rendez-vous de spécialistes.

Comme quoi, pour moi, médecine conventionnelle et médecine alternative ne s’opposent pas mais se complètent.

J’“utilise” la médecine alternative en complément de mes traitements allopathiques. Je fuis les thérapeutes qui sont contre la médecine et m’encouragent à arrêter mes traitements (mais heureusement ils sont peu nombreux).

Je me dirige également vers la médecine alternative une fois que ça va mieux, que la tempête est passée, que mon état est stabilisé.

Parce que je sais que la maladie est toujours là, mais peu active, et qu’il suffit de peu pour la réveiller. Alors, je me focalise sur la prévention, et pour cela c’est plutôt une naturopathe que je vois. Parce qu’elle prend le temps de me parler de mon hygiène de vie, de choses toutes simples, toutes bêtes, que mon médecin traitant ne prend pas toujours le temps de me dire. Et puis, parce qu’après la tempête, j’ai aussi envie de m’éloigner de la salle d’attente de ce médecin, qui me rappelle la maladie. 

J’ai eu du mal à écrire cet article, comme j’ai eu du mal à parler de ces thérapies alternatives à mes soignants. Mais j’avais besoin de le faire, car je vois de plus en plus de posts de soignants sur les réseaux sociaux qui me font froid dans le dos. Ils partagent des messages de patients qui se dirigent vers des médecines alternatives, en se moquant.

Pour les plus extrêmes, en insultant. (Bon heureusement, depuis j’ai quitté Twitter pour Instagram et j’y ai trouvé un peu plus de soignants bienveillants, ouverts d’esprit et respectueux des choix de chacun !)

Je trouve ça important, que les soignants soient au courant, comprennent et respectent mon choix d’intégrer la médecine alternative dans mon parcours de soin. Pourtant, je n’ose plus en parler, car j’ai souffert du jugement hâtif qu’ils avaient envers ces thérapies. La fois où, toute contente, j’ai annoncé à mon médecin que j’avais trouvé un peu de soulagement sur ce petit symptôme, il a ri. Il a ri, en me disant :

J’en ai parlé à mon spécialiste, et lui a haussé les sourcils avec un petit air un peu dédaigneux. J’avais eu besoin d’aller voir ces thérapeutes, et j’ai trouvé mes médecins très fermés d’esprit de ne pas me soutenir dans cette démarche. Je crois qu’en fait, j’aurais juste aimé qu’on me dise “ah d’accord” ou “très bien, essayez ce que vous voulez, mais suivez bien votre traitement”. Je crois qu’ils avaient peur des dérives, peur que je ne prenne plus mes traitements, peur que je tombe effectivement sur des charlatans. Mais je crois aussi que si on en avait discuté, ils auraient compris. Parce qu’après tout, il s’agit de mon corps, de mon argent (je ne parle pas de médecine alternative remboursée par la sécurité sociale), et tant que cela ne met en danger ni ma vie ni celle du reste du monde, pourquoi se moquer ? Pourquoi chercher à m’en empêcher ?

Peut-être que cet article a hérissé vos poils, vous a fait rire, vous a mis en colère. 

Peut-être qu’il ne vous a rien fait du tout.
Mais peut-être qu’il vous a fait réfléchir, et que, comme mon amie médecin aujourd’hui, vous verrez différemment ces patients.

Bien entendu, cela reste une expérience personnelle et des raisons personnelles. J’imagine que chaque patient qui s’oriente vers la médecine alternative a ses propres raisons, qu’elles soient liées à ses croyances, à une longue errance médicale qui provoque une certaine méfiance envers le corps médical, à une impasse thérapeutique, à des violences médicales vécues, à ses propres expériences avec le soin. 

Le côté invisible du handicap visible

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Le côté invisible du handicap visible.

Il y a quelques semaines, j’étais dans la file d’attente d’une billetterie. Une jeune femme en fauteuil roulant s’est approchée du guichet, en montrant sa carte prioritaire. Rien d’anormal, vous me direz. Sauf qu’à cet instant précis, une personne qui attendait son tour a prononcé cette phrase, relativement fort pour que tout le monde entende, mais pas assez pour qu’on la repère :

J’avais prévu de sensibiliser exclusivement sur les maladies chroniques et invisibles sur ce blog, mais je vais faire une petite exception avec cet article. Car cette réflexion m’a fait prendre conscience qu’on ne parlait pas assez des conséquences invisibles du handicap visible. Oui, quand on voit une personne en fauteuil roulant et un escalier, on se doute qu’il va y avoir un petit souci technique, et il assez naturel de lui venir en aide. Mais au-delà ? Outre ces aspects pratiques évidents, quel est l’impact invisible de son handicap au quotidien ? Au niveau physiologique, et au niveau psychologique ?

J’ai eu envie de comprendre l’invisible dans le quotidien de ces personnes, j’avais plein de questions, mais je n’osais pas trop les poser à des inconnus. Alors, je me suis tournée vers un couple d’amis, Myriam et Pierre, et ils m’ont aidée à y voir plus clair. Myriam est valide, Pierre a perdu l’usage de ses jambes le 13 novembre 2015. Si j’ai osé leur poser ces questions, c’est parce qu’ils sont dans le même état d’esprit que moi. Ils sont positifs, ambitieux, et ont la volonté de sensibiliser sans pathos. Au mois de septembre 2019, ils partent même en tour du monde, pour montrer à toute la société que c’est possible, pour inciter, informer, et surtout, pour inspirer ! J’ai hâte de vous les présenter, et de vous parler de leur beau projet !

A l’inverse d’autres cultures, nous ne sommes pas confrontés au handicap dès notre plus jeune âge. On voit peu de personnes en fauteuil dans la rue. Alors quand on en voit, on ne sait pas comment les regarder, comment s’adresser à elles, comment réagir.

C’est triste, mais c’est vraiment comme ça.

Alors, face à ces constats, à ces prises de conscience, leur projet émerge. Ce projet, c’est de partir faire le tour du monde. Pour contrer l’image que la société renvoie. Pour montrer que c’est possible. Que c’est faisable. Pour encourager d’autres handi-voyageurs. Pour leur donner des astuces pour dépasser ces limites. Des informations sur l’accessibilité.

Pierre et Myriam ont créé une association, Wheeled World, et souhaitent travailler avec des handiblogueurs étrangers, mais aussi des associations locales, pour voir comment ça se passe dans leur pays. Ils partageront leurs aventures sur leur blog : www.wheeledworld.org.

Vous pouvez lire le détail de leur voyage ici et ils ont même fait une petite vidéo pour présenter le projet.

Ils partent le 3 septembre 2019, et durant leur périple, ils comptent (entre autres) :

Cela paraît impossible au début, complètement inaccessible. Et en fait, si, c’est possible. Alors si le tandem électrique ou le parapente est accessible aux personnes handicapées, il doit y avoir pas mal d’autres choses accessibles aussi, non ? Toutes ces choses, ils vont les trouver, et les partager, pour encourager d’autres personnes à voyager.

  1. Le projet

Elle, c’est Myriam. Nous nous sommes rencontrées à Lisbonne, en 2012. Elle aime la bière et les bons repas, mais surtout parce que ça lui donne des excuses pour passer de bons moments avec ses proches. Et elle aime découvrir aussi. Rencontrer de nouvelles personnes, apprendre toujours, pour s’enrichir des autres et de nouvelles expériences.

Pierre et Myriam ont toujours aimé voyager, chacun de leur côté au départ, puis en amoureux. Lorsque le handicap s’est immiscé dans leur vie fin 2015, ils ne comptaient pas s’arrêter de voyager pour autant. Pourtant, au téléphone, Pierre me raconte comme il est facile de penser que l’on est obligé de rester chez soi, de ne plus bouger, de renoncer à ces projets, simplement parce que la société le pense, et nous renvoie cette image. C’est vrai, si la société considère que, parce que l’on a un handicap, on ne pourra pas faire telle ou telle chose, alors la personne handicapée à qui l’on renvoie cette image aura du mal à se dire que si, c’est possible, en fait. La perception du handicap dans la culture a un énorme impact sur la psychologie de la personne handicapée, sur ce qu’elle pense qu’elle peut faire, et, par conséquent, sur ce qu’elle osera faire.

Lui, c’est Pierre. Il aime s’immerger dans de nouveaux univers ! Curieux de tout, il est un fan inconditionnel de cinéma : des grands classiques aux blockbusters, ce sont les histoires qui l’intéressent avant tout, et les émotions qu’elles créent ! Ces émotions, il aime les ressentir et les partager avec les autres… Surtout quand il s’agit de les faire sourire !

Pierre et Myriam ont osé, et ont continué à partir le week-end, puis lors de vacances. Au fil de leurs voyages, ils se sont rendus compte qu’ils croisaient très peu de personnes en fauteuil. Ils ont noté également les différences d’accessibilité et de perception du handicap selon les endroits visités. Ils me racontent par exemple qu’aux États-Unis, tout est relativement accessible aux personnes à mobilité réduite. En Belgique, en Allemagne, dans les pays nordiques, en Espagne aussi, ils sont plus sensibilisés. Il y a des ascenseurs, des parcours spécifiques, des accès à la plage, des boutons pour les portes automatiques.

L’accessibilité va de pair avec la perception du handicap dans la culture. Voyage après voyage, ils réalisent que le regard des autres diffère aussi selon les pays. Aux États-Unis, lors de leur voyage de noces, Pierre et Myriam découvrent que là-bas, les gens ont tendance à leur lancer un regard plutôt admiratif, encourageant, à leur dire :

Ou alors, ils posent des questions sur ce qu’ils utilisent comme équipement, comment ça se passe, comment ça fonctionne. Avec beaucoup de curiosité et d’admiration. C’est plus accepté que chez nous, en France, où les gens détournent le regard tant ils sont peu habitués à voir des personnes en fauteuil. Pierre m’explique qu’en France, il est plutôt considéré comme une poussette, comme une gêne potentielle dans les transports, sur le trottoir.

2. La charge mentale

Lors de notre discussion, ce qui revenait régulièrement dans leurs mots, c’est la charge mentale. Parce que concrètement, si beaucoup n’osent pas voyager, c’est en partie parce que la société pense que c’est impossible, mais pas seulement. C’est aussi parce qu’au quotidien, il faut penser à tant de choses que se projeter dans un voyage peut sembler vraiment compliqué. Rien que pour sortir de chez soi, dans sa ville, dans son pays, il faut tout anticiper. Et pas seulement parce qu’il n’y a pas de rampe d’accès. Et ça, les personnes valides et en bonne santé comme l’homme de la file d’attente ne s’en rendent pas forcément compte. Tout cela fait partie de la sphère invisible du handicap visible.

L’homme de la file d’attente a pensé que la jeune femme étant assise, elle pouvait attendre. Mais la jeune femme en question était peut-être paraplégique, ne sentait peut-être pas sa vessie, devait peut-être se sonder dans pas longtemps. On ne connaît pas son quotidien.

Pierre m’a raconté le sien, et j’étais bien loin d’imaginer tout ce à quoi il doit penser. Pas étonnant que cela soit stressant, angoissant.

Myriam et Pierre habitent à Paris, et s’ils veulent sortir dans un bar ou au restaurant, ils appellent préalablement pour vérifier l’accessibilité du lieu, mais aussi l’accessibilité des toilettes. Car souvent, le restaurant est accessible, mais les toilettes sont à l’étage. Pour se rendre au restaurant en transports, il n’y a que la ligne 14 accessible aux fauteuils. Les bus et RER aussi, mais il faut les prévenir à l’avance, pour qu’ils sortent la rampe. Heureusement, il existe des réseaux spéciaux pour se déplacer. Mais pour ceux-là, c’est 15 jours à l’avance qu’il faut prévenir. Difficile de sortir rejoindre ses amis à la dernière minute, il faut toujours anticiper si l’on veut bouger.

Pour prendre le train, c’est pareil. Pour bénéficier de l’assistance, il faut prévenir plusieurs jours avant, et arriver à la gare bien avant le départ du train.

Ca, c’est pour les déplacements. Mais au-delà de la mobilité, il y a les besoins de base. Les besoins primaires. Comme aller aux toilettes. Pierre ne sent pas sa vessie, et utilise une sonde, donc il est obligé d’anticiper, de prévoir. S’il ne va pas aux toilettes, il prend des risques. Et quand le corps a un problème, même si on ne sent pas cet endroit précis, il trouve toujours le moyen de se manifester, de montrer que ça ne va pas. Spasmes, sueurs, coup de chaud… Ca peut vite devenir compliqué.

Enfin, il y a le fauteuil. Ce fauteuil qu’une personne lambda voit comme une aide à la mobilité, interchangeable, c’est en fait les jambes de quelqu’un. Il y a un fauteuil par personne, et il est adapté à chacun. Pour voyager, il faut souvent prendre l’avion. Et dans l’avion, il y a un risque de casse du fauteuil, car il part en soute et est traité comme une valise, balancé sans précaution. Et ça, c’est un stress énorme pour la personne handicapée. Ce fauteuil, ce n’est pas n’importe lequel, ce sont ses jambes. Pour voyager, Pierre doit arriver très en avance à l’aéroport (et avoir prévenu évidemment), doit laisser son fauteuil partir en soute, être transféré sur une chaise roulante qui fait la taille du couloir, avant d’être attaché sur son siège. Et s’il doit aller aux toilettes durant le trajet, il faut que l’hôtesse/le steward soit disponible pour le transférer sur la chaise roulante et l’accompagner.

En fait, tout ce que Pierre doit faire est minuté. Il doit anticiper, vérifier que tout a bien été pris en compte. Sinon, cela peut vite devenir stressant et angoissant.

Une personne valide et en bonne santé ne se pose pas tant de questions sur son quotidien. Elle a moins besoin de prévoir. Si tout n’est pas minuté et sécurisé dans son quotidien, ce n’est pas si grave, elle peut s’adapter. Alors qu’une personne handicapée, non. Elle doit penser à tout, avoir tout anticipé, sécurisé ses besoins de base jusqu’à « où et quand je vais aller aux toilettes ». C’est épuisant. Donc, forcément, elle aura moins tendance à se projeter dans quelque chose d’aussi aventurier qu’un voyage, où la part d’inconnu n’est pas négligeable.

Depuis 2016, Pierre et Myriam ont un peu lâché prise sur toute cette anticipation. Ils n’appellent plus partout pour vérifier l’accessibilité des restaurants. Petit à petit, ils ont trouvé leur équilibre, pris leurs habitudes, ce qui leur permet de sortir, d’oser voyager, de faire ce tour du monde. Leur conseil, c’est d’anticiper et sécuriser les besoins de base comme « où dormir » et « comment aller aux toilettes », pour ensuite pouvoir s’affranchir de ces barrières psychologiques et oser se projeter.

3. Le voyage

Leurs besoins de base, leurs besoins primaires, c’est avant tout de se reposer, de dormir.

Durant leur voyage, ils font donc très attention aux hôtels. Sans le handicap, ils seraient probablement partis en sac à dos, sans trop savoir où ils allaient dormir. Là, ce n’est pas envisageable. Myriam m’explique qu’ils ne peuvent pas se mettre en danger pour la nuit, car dans leur situation, une mauvaise nuit pourrait gâcher l’ensemble du voyage. Alors, pour les hôtels, ils anticipent, ils réservent avant. Ce n’est souvent pas possible de réserver les chambres accessibles par internet, donc ils appellent les hôtels. Ils vérifient s’ils disposent d’une douche ou d’une baignoire, car forcément, c’est plus compliqué de rentrer dans une baignoire. Les chambres accessibles étant plus grandes, dans certains hôtels elles sont considérées comme des chambres de luxe, des suites, et coûtent plus cher. Tout cela est à prendre en compte.

Pour manger, c’est moins compliqué. Ils sont deux, et savent qu’ils trouveront bien un endroit, et de l’aide pour s’y rendre s’y besoin. Pour les activités en journée, c’est pareil, ils m’expliquent qu’ils peuvent se mettre en difficulté là-dessus, ça ne gâchera pas le voyage pour autant. Mais la nuit, non, il faut vraiment se sécuriser, et se reposer.

Pour aller aux toilettes, comme pour les hôtels, ils anticipent au millimètre. Pierre me dit qu’il a de la chance, car il n’a pas besoin de beaucoup de matériel médical. En revanche, il a quand même besoin de sondes pour aller aux toilettes. 5 ou 6 par jour, multiplié par le nombre de jours, ça fait beaucoup, et même si elles ne sont pas grandes, ça prend de la place dans la valise. Alors, ça, ils anticipent. Ils ont des points de chute durant leur voyage, où ils peuvent s’en faire livrer. C’est un besoin de base, et s’ils ont un souci avec les sondes, ça ruine le voyage en 2 secondes.

Quand je leur ai demandé un conseil pour de futurs handi-voyageurs à la fin de notre conversation téléphonique, ils m’ont répondu en chœur « quoique tu aies besoin de faire, les besoins de base tu anticipes. Pour le reste, tu peux vivre normalement. ».

J’ai trouvé ça sage, inspirant, et simple, finalement.

Ce projet de tour du monde pour sensibiliser et inspirer, je le trouve vraiment beau. Dépasser les clichés sur les personnes handicapées, dépasser les préjugés sur ce qu’elles peuvent ou ne peuvent faire, dépasser les croyances de la société à leur sujet et l’image qu’elle leur renvoie, c’est un peu un but commun. Alors, je leur apporte tout mon soutien, et je souhaite vraiment qu’ils puissent inciter le plus de personnes à se dépasser, à oser, et montrer à tout le monde que tout est possible.

Pour cela, ils ont besoin d’un peu d’aide. Le matériel adapté coûte cher, et bien qu’ils soient déjà soutenus par de beaux partenaires et qu’ils mettent beaucoup de leurs économies, ils leur manque encore de quoi sensibiliser. Alors, ils ont lancé une campagne de financement participatif pour leur permettre de tester plus de choses, de réaliser plus d’exploits, de montrer vraiment tout ce qu’il est possible de faire, d’encourager davantage de gens à voyager. Si vous voulez soutenir leur projet de sensibilisation, vous pouvez le faire juste ici :

https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/wheeled-world

Et pour suivre leurs aventures, c’est par là :

Insttgram : www.instagram.com/wheeled_world

Facebook : www.facebook.com/wheeledworld2019

Cat, 41 ans, body positive (et positive tout court!)

By | Témoignages | No Comments

Je me suis longtemps demandé avec quelle histoire j’allais commencer cette série de témoignages sur le blog. Car des histoires, des portraits, j’en ai déjà plusieurs en stock. Mais quand Cat m’a contactée via Instagram, son dynamisme et sa joie de vivre m’ont marquée. Et je me suis dit que ça pourrait être elle, le premier témoignage.

Cat tient un blog, GingerCat, et lorsque j’ai cliqué sur le lien pour voir avec qui je discutais, j’ai tout de suite remarqué la petite ligne dans sa description qui indiquait “blogueuse joyeuse”. J’ai fouiné un peu sur son joli blog, et j’ai remarqué qu’elle parlait très peu de sa maladie, la maladie de Crohn. Ce qu’elle m’a confirmé, en me disant qu’elle n’aimait pas qu’on s’apitoie sur son sort, qu’elle n’aimait pas se plaindre, et qu’elle ne savait pas comment aborder ce sujet de manière légère, positive.

Alors, on a décidé de s’appeler, pour qu’elle me raconte son histoire, et que je puisse en faire un article illustré, léger. Cet article pourrait l’aider à aborder le sujet de la maladie de manière ludique sur son blog, et moi, ça me permet de commencer ce projet des Chroniques Invisibles avec l’histoire d’une personne joyeuse, dynamique, et même franchement drôle.

Nous avons discuté plus d’une heure au téléphone. Abordé différents thèmes, depuis ses symptômes, l’errance, le diagnostic, le rapport au corps, les ajustements quotidiens, le travail, les amis, les sorties, jusqu’aux rencarts et à la sexualité. Ce qui m’a le plus marquée, c’est le rapport qu’elle a avec son corps. Et c’est l’axe que j’ai choisi pour raconter son histoire. Car le rapport qu’elle a avec son corps, malgré les changements liés à la maladie, est si beau que je suis certaine qu’il peut inspirer de nombreuses personnes malades. Et même des personnes en bonne santé.

RAPPORT AU CORPS

  1. ERRANCE

Cat a commencé à avoir mal au ventre très jeune, sans que l’on sache d’où ça vienne. A l’adolescence, c’est devenu de plus en plus régulier, de plus en plus fort, et ça a commencé à avoir un réel impact dans sa vie. Elle ne pouvait jamais s’éloigner des toilettes, et souffrait d’intenses douleurs. Pourtant, on ne sait toujours pas ce qu’elle a. Les médecins lui font passer beaucoup d’examens, lui disent que c’est le stress ou une colopathie fonctionnelle.

On ne lui donne pas de traitement. Et elle a toujours mal au ventre. Le rapport au corps, à l’adolescence, lorsque le corps change, est toujours un peu délicat. Et la maladie n’arrange rien. Cat, qui était très sportive, a commencé à tomber dans l’anorexie. Elle ne savait pas si elle avait une pathologie ou non, mais elle savait que lorsqu’elle mangeait, elle avait mal. Alors, évidemment, elle mangeait peu, très peu, juste pour se nourrir, sans plaisir.

Et malgré cela, dès qu’elle mangeait, elle souffrait. Il lui fallait des toilettes à proximité. On ne s’en rend pas forcément compte, de l’extérieur, mais ne plus prendre de plaisir et être malade à la moindre bouchée isole énormément. La vie sociale tourne souvent autour des repas, en famille ou entre amis. Cat n’osait plus sortir, et les gens ne comprenaient pas.

2. RECONNAISSANCE

Et puis, elle me raconte qu’un jour, après une très grosse crise, la journée entière sur les toilettes, elle a appelé un nouveau gastro-entérologue, qui l’a prise en charge, et lui a diagnostiqué la maladie de Crohn. 10 ans après les premières douleurs, elle sait enfin. Elle commence un gros traitement, et un suivi quotidien. Mettre un nom sur sa maladie lui a donné une légitimité qu’elle n’avait pas avant. Elle est malade, sa pathologie est certes mal connue mais reconnue, et surtout, elle n’y peut rien.

Alors, elle continue à vivre avec cette maladie, ce “coloc” comme elle l’appelle aujourd’hui, un peu plus sereinement qu’avant, en étant bien suivie. La découverte de la maladie et les traitements lui permettent aussi de savoir ce qu’elle peut manger. Et ça, ça change tout. Elle choisit un aliment qu’elle aime, et s’aperçoit que ça passe.

Alors petit à petit, elle reprend du plaisir à manger. C’est à cette même période qu’elle rencontre un garçon, et s’installe en couple avec lui pendant un an. Ce garçon la prend au sérieux. Lui dit qu’elle a une vraie maladie.

“C’est tout bête, mais ça m’a permis d’assumer, de légitimer. Ca m’a aidée à mieux le vivre. Il me soutenait.”

En sachant enfin ce qu’elle a, en étant bien suivie et soutenue, elle vit mieux sa maladie, a moins mal, reprend le goût de la nourriture, et surtout, reprend goût à la vie.

3. ACCEPTATION

Mais comme son corps n’a tellement pas stocké pendant des années, reprendre goût à la nourriture s’est traduit par une forte prise de poids progressive. Si certains (comme moi) pourraient être perturbés par les changements physiques d’un corps qui subit une maladie, Cat me raconte qu’elle ne l’a pas du tout mal vécu. Elle se trouvait belle mince, et sa prise de poids ne change rien. Car grossir, ça illustre son rapport à la vie. Elle aime vivre. Et puis la nouvelle forme de son corps lui permet de réaliser un rêve qu’elle avait depuis petite : être mannequin.

“J’ai toujours voulu être mannequin, mais ça n’a jamais marché parce que je n’avais pas le physique pour. Et à 35 ans, quand je faisais une taille 46, on m’a prise en tant que mannequin ronde. Ca m’a beaucoup aidée. Ca veut dire qu’objectivement, je suis jolie, car le mannequinat c’est objectif. Ils te trouvent jolie, et veulent te mettre dans les magazines. Même si je fais plus de 100kg, je me sens bien, désirée, je plais beaucoup à de très beaux hommes. Je suis très body positive. Il faut s’aimer. Aujourd’hui, j’ai 40kg de plus qu’avant, mais je me sens très bien dans ma peau. Je serais pas contre perdre un peu, mais ce n’est pas pour autant que je ne me sens pas bien. Je me sens très bien avec mes rondeurs.”

Je buvais littéralement les paroles de Cat au téléphone. Car pour moi, le rapport au corps est très difficile. Je n’ai pas eu de changement physique apparent et flagrant. Mais moi je le vois, je le sens, et je ne le supporte pas. J’ai du mal à dissocier mon corps de la maladie. Cat, elle, y arrive sans aucun problème. Et j’admire son état d’esprit 🙂

Cet état d’esprit, c’est que j’avais perçu avant même de discuter avec elle. Car son blog, elle l’a créé pour transmettre que ce n’est pas parce qu’on est ronde qu’on ne peut pas s’habiller tendance ou mettre des trucs sexy. Elle me raconte qu’elle reçoit des témoignages de femmes qui la remercient car elles se sentent mieux dans leur peau grâce à elle.

“J’en ai pleuré. J’ai voulu faire ce blog pour aider les filles, parce que les blogueuses rondes se prenaient un peu trop au sérieux. J’aime tourner les choses à la dérision. J’ai beaucoup de retours positifs. C’est mon bonheur.”

C’est son bonheur, aussi, car ce blog lui donne un lien avec la vie, avec les gens. Et là, on retrouve un sujet bien connu de toutes les personnes atteintes d’une maladie chronique et/ou invisible. On ne s’en rend pas compte de l’extérieur, car on retient de Cat son enthousiasme, son humour, sa joie de vivre. Et on oublie qu’elle est malade, et que comme toute personne malade, c’est compliqué d’avoir une vie sociale.

Parce que les collègues ou amis ne comprennent pas toujours, et font des réflexions. Comme cette petite phrase :

après une semaine de grosse crise qui la clouait chez elle. Comme :

Parce qu’il faut penser à tout, aussi, et que c’est angoissant. Il faut toujours avoir des toilettes à proximité, s’assurer de pouvoir y aller en quelques secondes sans avoir à déranger toute une rangée, être dans un endroit propre… Alors pour sortir au restaurant, aller au cinéma, prendre les transports, ou partir en voyage, c’est délicat. Et ça, on ne s’en rend pas compte quand on ne le vit pas.

Parce qu’il y a la fatigue, aussi, que l’on ne peut pas imaginer lorsque l’on est en bonne santé, mais qui impacte drôlement la vie sociale.

Nous avons beaucoup parlé de cet impact social, de la difficulté qu’avait son entourage à comprendre, de son travail, de sa mise en invalidité qui lui a permis de vivre à nouveau, de ses rendez-vous galants, et même de sa sexualité. Cat m’en a parlé de manière totalement décomplexée, et ça fait du bien ! Sur chacun de ces sujets, son histoire est inspirante. Mais pour ne pas tout mélanger, je mettrai des petits encarts “témoignage” dans les articles sur le travail, la sexualité ou la vie sociale. Car là, ce que je voudrais que l’on retienne, c’est cette belle relation qu’elle a avec son corps, et qu’elle inspire aux jeunes (ou moins jeunes) femmes qui suivent son blog.

Pour terminer ce témoignage, je lui ai demandé si elle avait un petit message à transmettre aux personnes qui seraient dans sa situation. Et sans réfléchir, elle m’a dit avec son ton enjoué habituel :  “De profiter des moments de répit au maximum, de kiffer ! C’est pas de ta faute, t’as le droit d’être malade, essaye de faire au mieux pour vivre avec, c’est trop important la vie, d’autant plus que nous, on sait qu’elle est précieuse ! Il faut profiter de ses amis, de sa famille, et il faut s’aimer !”