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Le côté invisible du handicap visible

By | Le Blog, Témoignages | No Comments

Le côté invisible du handicap visible.

Il y a quelques semaines, j’étais dans la file d’attente d’une billetterie. Une jeune femme en fauteuil roulant s’est approchée du guichet, en montrant sa carte prioritaire. Rien d’anormal, vous me direz. Sauf qu’à cet instant précis, une personne qui attendait son tour a prononcé cette phrase, relativement fort pour que tout le monde entende, mais pas assez pour qu’on la repère :

J’avais prévu de sensibiliser exclusivement sur les maladies chroniques et invisibles sur ce blog, mais je vais faire une petite exception avec cet article. Car cette réflexion m’a fait prendre conscience qu’on ne parlait pas assez des conséquences invisibles du handicap visible. Oui, quand on voit une personne en fauteuil roulant et un escalier, on se doute qu’il va y avoir un petit souci technique, et il assez naturel de lui venir en aide. Mais au-delà ? Outre ces aspects pratiques évidents, quel est l’impact invisible de son handicap au quotidien ? Au niveau physiologique, et au niveau psychologique ?

J’ai eu envie de comprendre l’invisible dans le quotidien de ces personnes, j’avais plein de questions, mais je n’osais pas trop les poser à des inconnus. Alors, je me suis tournée vers un couple d’amis, Myriam et Pierre, et ils m’ont aidée à y voir plus clair. Myriam est valide, Pierre a perdu l’usage de ses jambes le 13 novembre 2015. Si j’ai osé leur poser ces questions, c’est parce qu’ils sont dans le même état d’esprit que moi. Ils sont positifs, ambitieux, et ont la volonté de sensibiliser sans pathos. Au mois de septembre 2019, ils partent même en tour du monde, pour montrer à toute la société que c’est possible, pour inciter, informer, et surtout, pour inspirer ! J’ai hâte de vous les présenter, et de vous parler de leur beau projet !

A l’inverse d’autres cultures, nous ne sommes pas confrontés au handicap dès notre plus jeune âge. On voit peu de personnes en fauteuil dans la rue. Alors quand on en voit, on ne sait pas comment les regarder, comment s’adresser à elles, comment réagir.

C’est triste, mais c’est vraiment comme ça.

Alors, face à ces constats, à ces prises de conscience, leur projet émerge. Ce projet, c’est de partir faire le tour du monde. Pour contrer l’image que la société renvoie. Pour montrer que c’est possible. Que c’est faisable. Pour encourager d’autres handi-voyageurs. Pour leur donner des astuces pour dépasser ces limites. Des informations sur l’accessibilité.

Pierre et Myriam ont créé une association, Wheeled World, et souhaitent travailler avec des handiblogueurs étrangers, mais aussi des associations locales, pour voir comment ça se passe dans leur pays. Ils partageront leurs aventures sur leur blog : www.wheeledworld.org.

Vous pouvez lire le détail de leur voyage ici et ils ont même fait une petite vidéo pour présenter le projet.

Ils partent le 3 septembre 2019, et durant leur périple, ils comptent (entre autres) :

Cela paraît impossible au début, complètement inaccessible. Et en fait, si, c’est possible. Alors si le tandem électrique ou le parapente est accessible aux personnes handicapées, il doit y avoir pas mal d’autres choses accessibles aussi, non ? Toutes ces choses, ils vont les trouver, et les partager, pour encourager d’autres personnes à voyager.

  1. Le projet

Elle, c’est Myriam. Nous nous sommes rencontrées à Lisbonne, en 2012. Elle aime la bière et les bons repas, mais surtout parce que ça lui donne des excuses pour passer de bons moments avec ses proches. Et elle aime découvrir aussi. Rencontrer de nouvelles personnes, apprendre toujours, pour s’enrichir des autres et de nouvelles expériences.

Pierre et Myriam ont toujours aimé voyager, chacun de leur côté au départ, puis en amoureux. Lorsque le handicap s’est immiscé dans leur vie fin 2015, ils ne comptaient pas s’arrêter de voyager pour autant. Pourtant, au téléphone, Pierre me raconte comme il est facile de penser que l’on est obligé de rester chez soi, de ne plus bouger, de renoncer à ces projets, simplement parce que la société le pense, et nous renvoie cette image. C’est vrai, si la société considère que, parce que l’on a un handicap, on ne pourra pas faire telle ou telle chose, alors la personne handicapée à qui l’on renvoie cette image aura du mal à se dire que si, c’est possible, en fait. La perception du handicap dans la culture a un énorme impact sur la psychologie de la personne handicapée, sur ce qu’elle pense qu’elle peut faire, et, par conséquent, sur ce qu’elle osera faire.

Lui, c’est Pierre. Il aime s’immerger dans de nouveaux univers ! Curieux de tout, il est un fan inconditionnel de cinéma : des grands classiques aux blockbusters, ce sont les histoires qui l’intéressent avant tout, et les émotions qu’elles créent ! Ces émotions, il aime les ressentir et les partager avec les autres… Surtout quand il s’agit de les faire sourire !

Pierre et Myriam ont osé, et ont continué à partir le week-end, puis lors de vacances. Au fil de leurs voyages, ils se sont rendus compte qu’ils croisaient très peu de personnes en fauteuil. Ils ont noté également les différences d’accessibilité et de perception du handicap selon les endroits visités. Ils me racontent par exemple qu’aux États-Unis, tout est relativement accessible aux personnes à mobilité réduite. En Belgique, en Allemagne, dans les pays nordiques, en Espagne aussi, ils sont plus sensibilisés. Il y a des ascenseurs, des parcours spécifiques, des accès à la plage, des boutons pour les portes automatiques.

L’accessibilité va de pair avec la perception du handicap dans la culture. Voyage après voyage, ils réalisent que le regard des autres diffère aussi selon les pays. Aux États-Unis, lors de leur voyage de noces, Pierre et Myriam découvrent que là-bas, les gens ont tendance à leur lancer un regard plutôt admiratif, encourageant, à leur dire :

Ou alors, ils posent des questions sur ce qu’ils utilisent comme équipement, comment ça se passe, comment ça fonctionne. Avec beaucoup de curiosité et d’admiration. C’est plus accepté que chez nous, en France, où les gens détournent le regard tant ils sont peu habitués à voir des personnes en fauteuil. Pierre m’explique qu’en France, il est plutôt considéré comme une poussette, comme une gêne potentielle dans les transports, sur le trottoir.

2. La charge mentale

Lors de notre discussion, ce qui revenait régulièrement dans leurs mots, c’est la charge mentale. Parce que concrètement, si beaucoup n’osent pas voyager, c’est en partie parce que la société pense que c’est impossible, mais pas seulement. C’est aussi parce qu’au quotidien, il faut penser à tant de choses que se projeter dans un voyage peut sembler vraiment compliqué. Rien que pour sortir de chez soi, dans sa ville, dans son pays, il faut tout anticiper. Et pas seulement parce qu’il n’y a pas de rampe d’accès. Et ça, les personnes valides et en bonne santé comme l’homme de la file d’attente ne s’en rendent pas forcément compte. Tout cela fait partie de la sphère invisible du handicap visible.

L’homme de la file d’attente a pensé que la jeune femme étant assise, elle pouvait attendre. Mais la jeune femme en question était peut-être paraplégique, ne sentait peut-être pas sa vessie, devait peut-être se sonder dans pas longtemps. On ne connaît pas son quotidien.

Pierre m’a raconté le sien, et j’étais bien loin d’imaginer tout ce à quoi il doit penser. Pas étonnant que cela soit stressant, angoissant.

Myriam et Pierre habitent à Paris, et s’ils veulent sortir dans un bar ou au restaurant, ils appellent préalablement pour vérifier l’accessibilité du lieu, mais aussi l’accessibilité des toilettes. Car souvent, le restaurant est accessible, mais les toilettes sont à l’étage. Pour se rendre au restaurant en transports, il n’y a que la ligne 14 accessible aux fauteuils. Les bus et RER aussi, mais il faut les prévenir à l’avance, pour qu’ils sortent la rampe. Heureusement, il existe des réseaux spéciaux pour se déplacer. Mais pour ceux-là, c’est 15 jours à l’avance qu’il faut prévenir. Difficile de sortir rejoindre ses amis à la dernière minute, il faut toujours anticiper si l’on veut bouger.

Pour prendre le train, c’est pareil. Pour bénéficier de l’assistance, il faut prévenir plusieurs jours avant, et arriver à la gare bien avant le départ du train.

Ca, c’est pour les déplacements. Mais au-delà de la mobilité, il y a les besoins de base. Les besoins primaires. Comme aller aux toilettes. Pierre ne sent pas sa vessie, et utilise une sonde, donc il est obligé d’anticiper, de prévoir. S’il ne va pas aux toilettes, il prend des risques. Et quand le corps a un problème, même si on ne sent pas cet endroit précis, il trouve toujours le moyen de se manifester, de montrer que ça ne va pas. Spasmes, sueurs, coup de chaud… Ca peut vite devenir compliqué.

Enfin, il y a le fauteuil. Ce fauteuil qu’une personne lambda voit comme une aide à la mobilité, interchangeable, c’est en fait les jambes de quelqu’un. Il y a un fauteuil par personne, et il est adapté à chacun. Pour voyager, il faut souvent prendre l’avion. Et dans l’avion, il y a un risque de casse du fauteuil, car il part en soute et est traité comme une valise, balancé sans précaution. Et ça, c’est un stress énorme pour la personne handicapée. Ce fauteuil, ce n’est pas n’importe lequel, ce sont ses jambes. Pour voyager, Pierre doit arriver très en avance à l’aéroport (et avoir prévenu évidemment), doit laisser son fauteuil partir en soute, être transféré sur une chaise roulante qui fait la taille du couloir, avant d’être attaché sur son siège. Et s’il doit aller aux toilettes durant le trajet, il faut que l’hôtesse/le steward soit disponible pour le transférer sur la chaise roulante et l’accompagner.

En fait, tout ce que Pierre doit faire est minuté. Il doit anticiper, vérifier que tout a bien été pris en compte. Sinon, cela peut vite devenir stressant et angoissant.

Une personne valide et en bonne santé ne se pose pas tant de questions sur son quotidien. Elle a moins besoin de prévoir. Si tout n’est pas minuté et sécurisé dans son quotidien, ce n’est pas si grave, elle peut s’adapter. Alors qu’une personne handicapée, non. Elle doit penser à tout, avoir tout anticipé, sécurisé ses besoins de base jusqu’à « où et quand je vais aller aux toilettes ». C’est épuisant. Donc, forcément, elle aura moins tendance à se projeter dans quelque chose d’aussi aventurier qu’un voyage, où la part d’inconnu n’est pas négligeable.

Depuis 2016, Pierre et Myriam ont un peu lâché prise sur toute cette anticipation. Ils n’appellent plus partout pour vérifier l’accessibilité des restaurants. Petit à petit, ils ont trouvé leur équilibre, pris leurs habitudes, ce qui leur permet de sortir, d’oser voyager, de faire ce tour du monde. Leur conseil, c’est d’anticiper et sécuriser les besoins de base comme « où dormir » et « comment aller aux toilettes », pour ensuite pouvoir s’affranchir de ces barrières psychologiques et oser se projeter.

3. Le voyage

Leurs besoins de base, leurs besoins primaires, c’est avant tout de se reposer, de dormir.

Durant leur voyage, ils font donc très attention aux hôtels. Sans le handicap, ils seraient probablement partis en sac à dos, sans trop savoir où ils allaient dormir. Là, ce n’est pas envisageable. Myriam m’explique qu’ils ne peuvent pas se mettre en danger pour la nuit, car dans leur situation, une mauvaise nuit pourrait gâcher l’ensemble du voyage. Alors, pour les hôtels, ils anticipent, ils réservent avant. Ce n’est souvent pas possible de réserver les chambres accessibles par internet, donc ils appellent les hôtels. Ils vérifient s’ils disposent d’une douche ou d’une baignoire, car forcément, c’est plus compliqué de rentrer dans une baignoire. Les chambres accessibles étant plus grandes, dans certains hôtels elles sont considérées comme des chambres de luxe, des suites, et coûtent plus cher. Tout cela est à prendre en compte.

Pour manger, c’est moins compliqué. Ils sont deux, et savent qu’ils trouveront bien un endroit, et de l’aide pour s’y rendre s’y besoin. Pour les activités en journée, c’est pareil, ils m’expliquent qu’ils peuvent se mettre en difficulté là-dessus, ça ne gâchera pas le voyage pour autant. Mais la nuit, non, il faut vraiment se sécuriser, et se reposer.

Pour aller aux toilettes, comme pour les hôtels, ils anticipent au millimètre. Pierre me dit qu’il a de la chance, car il n’a pas besoin de beaucoup de matériel médical. En revanche, il a quand même besoin de sondes pour aller aux toilettes. 5 ou 6 par jour, multiplié par le nombre de jours, ça fait beaucoup, et même si elles ne sont pas grandes, ça prend de la place dans la valise. Alors, ça, ils anticipent. Ils ont des points de chute durant leur voyage, où ils peuvent s’en faire livrer. C’est un besoin de base, et s’ils ont un souci avec les sondes, ça ruine le voyage en 2 secondes.

Quand je leur ai demandé un conseil pour de futurs handi-voyageurs à la fin de notre conversation téléphonique, ils m’ont répondu en chœur « quoique tu aies besoin de faire, les besoins de base tu anticipes. Pour le reste, tu peux vivre normalement. ».

J’ai trouvé ça sage, inspirant, et simple, finalement.

Ce projet de tour du monde pour sensibiliser et inspirer, je le trouve vraiment beau. Dépasser les clichés sur les personnes handicapées, dépasser les préjugés sur ce qu’elles peuvent ou ne peuvent faire, dépasser les croyances de la société à leur sujet et l’image qu’elle leur renvoie, c’est un peu un but commun. Alors, je leur apporte tout mon soutien, et je souhaite vraiment qu’ils puissent inciter le plus de personnes à se dépasser, à oser, et montrer à tout le monde que tout est possible.

Pour cela, ils ont besoin d’un peu d’aide. Le matériel adapté coûte cher, et bien qu’ils soient déjà soutenus par de beaux partenaires et qu’ils mettent beaucoup de leurs économies, ils leur manque encore de quoi sensibiliser. Alors, ils ont lancé une campagne de financement participatif pour leur permettre de tester plus de choses, de réaliser plus d’exploits, de montrer vraiment tout ce qu’il est possible de faire, d’encourager davantage de gens à voyager. Si vous voulez soutenir leur projet de sensibilisation, vous pouvez le faire juste ici :

https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/wheeled-world

Et pour suivre leurs aventures, c’est par là :

Insttgram : www.instagram.com/wheeled_world

Facebook : www.facebook.com/wheeledworld2019